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  • Photo du rédacteurClaire FILLIATRE

Condamnation de l’État à indemniser Mediapart pour tentative de perquisition.


Par un jugement en date du 6 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a condamné l’Agent judiciaire de l’Etat (ci-après « l’AJE ») à indemniser MEDIAPART à 1 euro symbolique de dommages et intérêts (somme que sollicitait l’organise de presse) à la suite de la tentative de perquisition de ses locaux sur décision du parquet le 4 février 2019 destinée à « obtenir les enregistrements correspondant à la conversation de Monsieur Alexandre Benalla et Monsieur Vincent Crase aux fins de vérifier leur contenu et d’identifier les moyens utilisés pour cette interception ». Pour la première fois, l’Etat est condamné à indemniser un organe de presse à la suite d’une tentative de perquisition. Les perquisitions sont rares dans les entreprises de presse surtout depuis l’adoption de la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes. Pour rappel, cette tentative de perquisition faisait suite à la publication d’un article intitulé « Affaire Macron-Benalla : les enregistrements qui changent tout » comportant la diffusion de six extraits de conversations privées. A la suite de ces diffusions, le parquet de Paris avait saisi la brigade criminelle de Paris d’une enquête préliminaire « des chefs d’atteinte à l’intimité de la vie privée, de détention ou diffusion de paroles ou d’images portant atteinte à l’intimité de la vie privée, de détention illicite d’appareils ou de dispositifs permettant l’interception de télécommunications ou conversations sur le fondement des articles 226-1, 226-2, 226-3 du code pénal ». Dans cette décision, le Tribunal rappelle l’importance fondamentale du respect du secret des sources des journalistes consacré à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 et fait primer la liberté d’expression sur le droit au respect de la vie privée. Ce jugement particulièrement motivé et structuré rappelle de nombreux principes de droit telle que la compétence du juge judiciaire pour connaître d’une action en responsabilité sans faute de l’Etat (1), la qualification de « perquisition » de l’acte d’enquête destiné à obtenir les enregistrements privés conservés par l’organe de presse (2), l’atteinte à la liberté d’expression et au secret des sources lorsqu’une tentative de perquisition, quand bien même celle-ci aurait finalement échoué, a été initiée à l’encontre d’une entreprise de presse (4), la nécessité de caractériser un préjudice « anormal, spécial et grave » afin d’ouvrir le droit à une indemnisation (4) et enfin les mesures réparatrices pouvant être ordonnées (5).


1. Sur la compétence du juge judiciaire pour connaître d’une action en responsabilité sans faute à l’encontre de l’agent judiciaire de l’Etat

Pour rappel, les personnes publiques peuvent être poursuivies sur le fondement de la responsabilité sans faute lorsque la victime a subi un préjudice anormal, spécial et grave. Elle doit alors apporter la preuve du lien de causalité entre l’activité administrative et le dommage subi. En l’espèce, Mediapart étant tiers à l’enquête préliminaire ouverte par le parquet, la responsabilité de l’AJE pouvait être engagée par Mediapart sur le fondement de la responsabilité sans faute. Le Tribunal judiciaire était-il pour autant compétent pour connaître d’une action en responsabilité contre l’Etat qui relèvent habituellement plutôt de la compétence des juridictions administratives ? La réponse est oui car le préjudice résulte d’une opération de police judiciaire. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé le Conseil d’Etat dans un arrêt du 15 novembre 2021 par lequel il considère que l’action fondée sur la responsabilité sans faute de l’Etat en raison du préjudice résultant d’une opération de police judiciaire relève de la compétence de la juridiction judiciaire appliquant ainsi la solution rendue par le Tribunal des conflits du 26 juin 2006.

2. Sur la qualification de l’acte d’enquête en perquisition

Dans ses conclusions, l’AJE contestait avoir eu l’intention d’effectuer une perquisition au sein de Mediapart.


Il prétendait ainsi que le déplacement de deux magistrats et d’officiers de police judiciaire avait pour seul objet d’ « obtenir les enregistrements correspondant à la conversation de Monsieur Alexandre Benalla et Monsieur Vincent Crase, aux fins de vérifier leur contenu et d’identifier les moyens utilisés pour cette interception ».


Les magistrats étaient finalement repartis les mains vides, Monsieur Arfi, co-fondateur et salarié de Mediapart, refusant de les laisser entrer et les enquêteurs n’étant pas munis d’une autorisation du juge des libertés et de la détention permettant sous certaines conditions liées au type d’infraction poursuivie et à la peine encourue, de pouvoir passer outre l’assentiment de la personne chez qui la perquisition a lieu.


Le Tribunal judiciaire de Nanterre analyse l’acte d’enquête comme une perquisition et cela quand bien même il n’y aurait pas eu de remise spontanée de documents rappelant que la qualification de l’acte d’enquête ne dépend pas de son résultat effectif mais de son objectif.


Le Tribunal en déduit qu’il n’est pas abusif d’évoquer une tentative de perquisition même si la mesure s’est révélée infructueuse.



3. Sur l’atteinte à la liberté d’expression et au secret des sources

Afin de caractériser le préjudice de Mediapart dans cette tentative de perquisition par l’AJE, le Tribunal rappelle que l’atteinte à la liberté d’expression est fondamentale ainsi que la protection des sources qui en est « la pierre angulaire », expression utilisée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans sa décision Goodwin contre Royaume Uni du 27 mars 1996. Le Tribunal estime que la tentative de perquisition des enquêteurs ne tendait pas à la seule obtention des enregistrements mais à la vérification de leur authenticité, investigations qui impliquaient nécessairement un accès au support de nature à permettre d’identifier la source. Le seul motif de l’ingérence avancé par l’AJE de protéger l’atteinte à la vie privée constitué par ces enregistrements et leur diffusion ne saurait justifier l’atteinte à la liberté d’expression exercée par Mediapart pour traiter un débat d’intérêt général. Le Tribunal relève par ailleurs que Monsieur Benalla et Monsieur Crase n’avaient pas déposé plainte avant la perquisition démontrant que cette perquisition ne revêtait pas une grande importance pour les intéressés quand bien même l’action publique pouvait être mise en mouvement sans la nécessité d’un dépôt de plainte préalable. Le Tribunal en conclut que la perquisition n’était ni nécessaire dans une société démocratique ni proportionnée à l’objectif poursuivi surtout que les enregistrements avaient été finalement adressés par Mediapart directement au parquet l’après-midi même de la tentative de perquisition.

4. Sur le préjudice anormal, spécial et grave

La responsabilité sans faute de l’Etat suppose que la victime apporte la preuve d’un préjudice anormal, spécial et grave. Le Tribunal juge que le préjudice est spécial en ce que seule Mediapart est concernée par la mesure et souligne que depuis la loi du 4 janvier 2010, aucune perquisition n’avait été conduite dans une entreprise de presse. L’anormalité est caractérisée par l’atteinte à la liberté d’expression et à la protection des sources et de leur importance pour un media qui fait de l’investigation son cœur de métier. La gravité du préjudice est liée directement à l’atteinte au secret des sources susceptible d’anéantir son activité. Ainsi, le préjudice étant caractérisé, le Tribunal accorde un droit à indemnisation à l’organe de presse.

5. Sur les mesures réparatrices

L’AJE est condamné à un euro symbolique, Mediapart admettant que le litige était avant tout une question de principe et que le soutien des autres médias lui avaient permis de réparer l’atteinte à sa réputation. Le Tribunal rejette la demande de Mediapart de voir ordonner la publication du jugement sur le site du ministère de la Justice estimant qu’il s’agirait d’une mesure punitive étrangère au principe de réparation intégrale. Elle rappelle cependant que Mediapart peut effectuer toute mesure de publicité du jugement ce que le Media n’a pas manqué de faire, la condamnation de l’AJE ayant été relatée immédiatement sur le site internet du journal. L’AJE est condamnée à 10.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile (frais de justice).

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